
UNE CHEVALIERE, oui, mais laquelle ?
Premièrement, la voulez-vous « pleine » ou « creuse » ?
« Pleine », cela veut dire « massive », c’est-à-dire « remplie de matière ».
« Creuse », cela veut dire qu’elle est vide à l’intérieur. Il en existe aussi qui sont « semi-creuses », c'est-à-dire « semi pleines » …
Dans ces deux cas, « massive » ou « creuse », ces deux chevalières peuvent avoir exactement la même apparence extérieure, notamment dans une vitrine, sur une photo, sur Internet.
Mais en matière de chevalière, on paye « du poids », c’est-à-dire qu’entre un article « creux » et un article « plein », le prix peut aller du simple au quadruple ou davantage… sans que l’œil ne voit aucune différence.
Deuxièmement, pleine « de quoi » ?
Il y a des chevalières qui sont bien « pleines », mais pas pleines d’or : elles peuvent être pleines de quantités de métaux, (parfois très pauvres comme le maillechort), ou nettement plus précieux, comme l’argent.
Ensuite, la chevalière « pleine d’un autre métal que l’or », peut être recouverte soit d’un « fort-d’or » (sorte de pellicule en or d’un dixième de millimètre d’épaisseur, soit d’un « placage » (par dépôt électrolytique de métal), de 3 ou 5 ou 10 microns de métal.
Là encore, vu de l’extérieur, l’œil ne voit aucune différence.
Troisièmement, lorsqu’elle est pleine d’or, de quel « or » la voulez-vous ?
Comme on le sait, il y a de nombreuses « qualités » d’or.
Redisons rapidement qu’il y a sur le marché 3 sortes d’alliages en bijouterie : le 9 carats, le 14 carats et le 18 carats.
Bien évidemment, ces notions sont très importantes car normalement, rien que sur ce critère, une chevalière en « 9 carats » devrait coûter la moitié moins qu’une chevalière en « 18 carats ». (Normal puisque 9 est la moitié de 18 ! : une chevalière en 9K a donc la moitié moins d’or pur qu’une chevalière en 18k).
Mais l’œil, une nouvelle fois, ne le voit pas.
Quatrièmement, la voulez-vous « forgée » ou « fondue » ?
Nous rentrons ici dans les fondements de la fabrication en bijouterie.
Rappelons ce grand principe :
Lorsque le métal est « forgé », il durcit. On dit qu’il « s’écrouit ». Lorsqu’il atteint son niveau maximum d’écrouissage, le métal ne se déforme plus : soit il casse, soit il éclate. Pour continuer à pouvoir le travailler, il faut le détendre : on dit qu’il faut « le recuire ».
Ces successions « d’écrouissage » et de « recuit » donnent au métal forgé ce qu’on appelle une « noblesse ». Un métal « noble », c’est un métal qui a obtenu la déformation voulue (chevalière, médaille, etc.) en subissant des phases successives de frappe, d’écrouissage et de recuits.
Ce métal « noble », il a une dureté qu’aucun métal « fondu » ne pourra jamais atteindre. Son degré d’usure est très faible : dans 100 ans, vous pourrez transmettre votre chevalière à votre petit-fils, quasi intacte.
Mais aujourd’hui, pratiquement tous les bijoux de la planète sont fabriqués en « fondu ».
Un bijou « fondu », c’est un bijou qui sort d’un moule dans lequel le métal a été injecté en fusion et qui a refroidi. En refroidissant, ce métal s’est « rétracté ».
Sans le savoir, cette rétractation, liée au choc thermique, va « piquer » la surface du métal et le remplir de micro-fissures. Une fois « réparé », ce métal fondu peut avoir un très bel aspect mais il n’aura jamais la dureté d’un bijou forgé. Surtout, il n’en aura jamais « la noblesse ».
Du point de vue extérieur, du point de vue de l’aspect final, notamment sur des photos ou dans les vitrines, il est impossible à l’œil de voir la différence, et très difficile, même à un professionnel, de dire exactement si un article est fabriqué en « fondu » ou en « forgé ». Et pourtant, la différence de qualité du métal est considérable.
Dernière point : il concerne la « façon ».
Pour forger correctement une chevalière, non seulement il faut des « matrices » en acier trempé et une presse d’au moins 100 tonnes de pression, mais il faut 10 heures d’atelier à une main experte. Pour faire une chevalière fondue, lorsqu’on possède le moule ou la CAO, il faut 5 minutes pour faire la cire, et le fondeur passe une heure environ pour son « arbre de fonte », technique particulière. Ajoutez une heure de « réparé-mise au doigt-poli».
C’est tout.
Il y a d’autres arguments en faveur du « fondu » et du « forgé », mais on ne peut pas ici développer un domaine très technique, qui nécessiterait des heures d’explications.
LA GRAVURE.
Encore des questions : quelle gravure voulez-vous ?
Voulez-vous une « belle » gravure, effectuée dans les règles de l’art par une « main » non seulement qualifiée mais renommée ?
Ou bien un « gravage » sommaire vous suffit, la plupart du temps mécanique, anciennement à la « fraise » et désormais au « laser » ?.. Ces gravures sont effectuées par des « imprimantes », elles-mêmes pilotées par un logiciel, un écran et un « opérateur » plus proche de « l’employé de bureau » que du « graveur ». Cela ne nécessite aucune qualification « de la main », juste un peu de pratique « informatique ».
Pour commencer, parlons de la gravure « à la main » et à la main « dans les règles de l’art ».
A partir de là, il y a deux sortes de gravures : les gravures « ornementales », et les gravures « héraldiques ».
Les gravures ornementales sont constituées par des gravures de type calligraphie, initiales, ou symboliques, toujours en creux, mais « à l’endroit » : ici la gravure, pour autant qu’elle soit faite à la main, est lisible en regardant la chevalière. On peut parfaitement être graveur « main » « ornemental » sans avoir la qualification « héraldique ».
Les gravures héraldiques. Elles sont constituées, elles, par des blasons héraldiques, avec ou sans casque, avec ou sans lambrequins, toujours en creux, mais réalisées « en miroir » : cela veut dire que les armes gravées ne peuvent se lire que frappées dans une cire, pour constituer un sceau.
Cette technique de la gravure dite « héraldique » est une spécialité majeure de l’art bijoutier, mais tellement difficile, tellement spécifique, qu’elle est pratiquée aujourd’hui par très peu de personnes dignes de ce nom (sans doute moins de 10 personnes en France). Normalement, un graveur héraldiste ne fait « que ça » parce qu’il doit pratiquer son art sans arrêt pour ne pas perdre « la main ».
Spécificité de la gravure héraldique.
Ce que l’on ignore souvent, c’est que les graveurs héraldistes utilisent des « poinçons » pour graver la plupart des motifs de leurs armoiries.
Par exemple, si le graveur doit graver une « Fleur de lys », il peut la graver directement en creux avec une échoppe. Mais c’est très rare. Les graveurs héraldistes dignes de ce nom ne gravent pas : ils frappent. Cette « frappe » s’effectue à l’aide de « poinçons ».
Les graveurs héraldistes se constituent ces « outils » (les « poinçons de graveurs héraldistes ») qui pourront servir autant de fois que nécessaire par la suite. Que ce soient des lions, des aigles, des fleurs de lys, des étoiles, des tours, des lunes, etc… lorsque le graveur a un « outil poinçon » au format, il le positionne sur son ouvrage et la gravure se fait par poinçonnage au marteau.
Pour être frappées hardiment, les chevalières doivent être bien forgées et disposées sur une sorte d’étau, lui encore très spécifique.
Les graveurs héraldistes constituent leurs propres collections de « poinçons » de tous les motifs possibles et imaginables (en héraldique, on dit des « meubles »). Ils en ont des centaines, parfois des milliers, soigneusement rangés par formes et par formats (car en fonction des motifs, il faut des dizaines de formats du même motif).
On comprend mieux pourquoi ce métier est très spécial, affaire de spécialiste, d’où sa rareté et son prix.
LA CHEVALIERE « GRAVEE-FONDUE »
Lorsqu’une « belle » chevalière a été bien gravée par une « belle » gravure héraldique, il arrive souvent que les familles aient besoin d’autres chevalières « identiques » pour les autres enfants.
La question de la copie peut se poser, notamment en termes de budget.
Ici, on aboutit à un « produit » un peu hybride dans le monde de la bijouterie, qui est la chevalière « armoriée-fondue ».
Cette « belle » chevalière originelle est « copiée » par le processus du moulage en silicone, ce qui permettra à la famille d’en faire « mouler » une ou plusieurs autres. Ces chevalières seront à la fois, « déjà gravées » et « fondues ». Dans cette affaire, il n’y a pas deux mains qui interviennent, mais une seule, qui fait une copie servile, comme il en fait à peu près tous les jours.
Il faut juste que le « graveur héraldiste » qui a gravé l’original, ne le sache pas. (Car il existe aussi des graveurs héraldistes qui « protègent » leur « travail » par des processus d’interdiction de copie, ce qui ne manque pas de créer des problèmes juridiques inextricables …)
Reconnaissons enfin que cette pratique de la copie par fonte est à la fois très courante et très moche. Du point de vue de la déontologie, cela peut poser un problème, mais du point de vue de l’esthétique, c’est carrément honteux. En ce qui me concerne, je préfèrerai ne pas porter de chevalière du tout que porter une chevalière « gravée fondue » par copie.
Ce qu’il faut surtout, c’est bien comprendre ce qui se passe et ne pas se faire livrer une chevalière « en fondu » si vous l’avez demandée (et surtout « payée ») « en forgée ». Idem pour la gravure.
LA GRAVURE NUMERIQUE
Si ces graveurs héraldistes « à la main » et « dans les règles de l’art » deviennent aussi rares et aussi chers, c’est également en raison d’un nouvel acteur dans le monde de la chevalière héraldique : le graveur « CAO » ou graveur « numérique ».
Ici, le graveur n’est pas du tout « graveur » : c’est un (une) GEEQ qui manipule un ordinateur, sur son fauteuil moelleux, et qui « demande à son logiciel » si la gravure de votre blason doit être faite « à l’endroit », (pour lire vos armes en regardant la chevalière), ou « en miroir », (pour les lire sur un cachet de cire). Cette inversion se fait par un « clic de souris ». On peut aussi scanner les armoiries, et désormais scanner la chevalière compète, en « 3D ».
Aujourd’hui, n’importe quel « bijoutier » peut commander le processus complet d’une chevalière héraldique gravée à vos armes et à votre doigt sans s’adresser ni à un professionnel de la frappe, ni à un professionnel de la gravure.
Ainsi va le monde. Lorsque « l’objet d’art » ne devient plus qu’un « fichier » numérique, le « bijou » n’est plus affaire de bijoutier, de spécialiste, de « mains expertes » mais de capacité à manier des logiciels.
Les graveurs héraldistes, les « vrais », ceux qui doivent « faire leur main » par 10 ans de pratique avant de prendre des pièces de clients, ceux qui galèrent des heures à la binoculaire pour réaliser des blasons à l’échoppe et au poinçon, vous diront qu’une gravure « numérique » est une insulte à leur art. Ils vous diront qu’une gravure numérique sera toujours moche, sans âme, insipide, nulle : on peut les comprendre.
Mais la technologie a fait d’énormes progrès ces derniers temps et l’on connait désormais de très bons « opérateurs » « laser » qui pratiquent des gravures laser de très haute qualité, à un prix très nettement inférieur. Quand un graveur laser propose une gravure héraldique à 450 euros, là où la même à la « main » doit être vendue 1200 euros, on comprend que la question de la gravure « laser » puisse se poser.
Voilà comment, en 2025, la gravure « laser » semble tout emporter.
Il faut dire aussi que le marché a gravement muté. Désormais, un grand nombre de clients se moquent éperdument des « règles de l’art » surtout quand ces « règles de l’art » protègent quelques mains qui « se gavent » et sont quasiment invisibles sur le doigt.
Tout est affaire de culture. Encore une fois, ces mutations profondes ne vont pas se débloquer ici…
Sans doute faut-il trouver le juste milieu.